Bien que l'on s'accorde à dire que le jardinage est bon pour la santé, physique et mentale, bon nombre de jardiniers développent certaines phobies. Celles des mauvaises herbes est un grand classique mais elle est suivie de près par une autre, la peur des plantes invasives et des plantes envahissantes. Au jardin comme ailleurs, la peur de l'invasion n'est pas nouvelle mais elle semble connaître un certain regain ces dernières années ! Ambroisie, Berce du Caucase, Jussie, Renouée du Japon, Buddléia, ... il faut bien avouer que ces plantes exotiques sont inquiétantes mais peut-on les comparer avec notre bonne herbe-aux-goutteux ou notre satané liseron ?
Je vous propose donc, aujourd'hui, de faire le point sur les plantes invasives et les plantes jugées envahissantes car il est difficile parfois de s'y retrouver dans tout cela.
Alors, invasives ou envahissantes ?
Cronk et Fuller ont rédigé une définition officielle en 1996 pour les espèces invasives :
Espèce exotique naturalisée dans un territoire qui modifie la composition, la structure et le fonctionnement des écosystèmes naturels ou semi-naturels dans lequel elle se propage.
Une espèce invasive qu'elle soit végétale, animale ou autres (je vous rappelle qu'il existe officiellement six règnes dans le monde du vivant), est une espèce exogène, ou exotique si vous préférez, qui a colonisé rapidement un endroit en menaçant ou bouleversant la biodiversité indigène d'un milieu. En d'autres termes, une EEE ou Espèce Exogène Envahissante, utilisera la technique du « pousse-toi de là que je m'y mette » au détriment d'une ou plusieurs espèces indigènes. Provoquant dans ce cas un déséquilibre dans nos écosystèmes déjà fortement fragilisés. C'est d'ailleurs, selon l'ONU, la seconde cause de régression de la biodiversité.
Ces espèces végétales invasives le sont car elles sont :
- soit euryèces, cela veut dire que ces plantes peuvent vivre dans des habitats très différents et supportent des variations écologiques importantes (température, sol, ensoleillement, ...) ;
- soit pionnières, cela veut dire que ce sont des espèces qui vont coloniser juste après les lichens et les mousses un milieu naturel jeune ou remis dans cet état par une action humaine (coupe à blanc, feu de forêt, ...) ;
- soit nitrophiles, cela veut dire un végétal qui apprécie particulièrement les terres enrichies en azote comme on en retrouve chez nous ;
- et... soit, par un terrible coup du sort, une espèce qui a réussi à trouver les conditions adéquates à sa prolifération (mais là, c'est vraiment pas de bol pour la flore sauvage !).
Il semblerait que le terme « invasif » (un anglicisme) ne devrait plus être utilisé. Mais plutôt l'acronyme d'EEE Espèce Envahissante Exogène. Le problème est que ce terme peut faire penser à une plante envahissante mais... indigène. Comme l'ortie, le gaillet gratteron, le liseron, ...
Nota bene : ne confondez pas non plus avec une invasion ponctuelle comme c'est le cas parfois pour certains oiseaux. Par exemple, l'invasion hivernale de Jaseurs boréal venant du Nord il y a quelques années. Ce phénomène n'occasionne peu ou prou de dérèglement des écosystèmes. A la rigueur deux oiseaux d'espèces différentes vont se bagarrer pour savoir qui mangera cette baie de Viorne...
Qu'est-ce qu'une plante indigène ?
Une espèce est qualifiée d'indigène dans une région ou un biotope précis si sa présence dans une région (son aire de répartition) est le résultat de processus naturels, c'est-à-dire sans intervention humaine. Si l'Homme a mis son grain de sel, alors on parlera d'espèce introduite.
Donc une plante peut devenir très envahissante dans votre jardin sans pour autant être invasive car elle est indigène : gaillet gratteron, ortie, rumex, aegopode, lierre terrestre, ...
C'est une bien belle définition, mais...
Nous en avons discuté en équipe, il y a peu et j'ai retenu une phrase de Michaël à ce sujet « A partir de combien de temps de colonisation, considère-t-on qu'une espèce est indigène ou non ? »
Et il a raison. De tout temps les espèces (végétales, animales ou autres) ont vu leurs aires de répartition se déplacer, se restreindre, s'agrandir, ... en fonction des facteurs climatiques, des chories (mode de dissémination des graines), ... mais aussi, il est vrai, de l'Homme.
Les plantes invasives, un sujet qui fait débat...
Nous subissons très récemment (à l'échelle humaine!), un énorme et rapide changement climatique qui modifie en ce moment même les aires de répartition des espèces vivantes sur terre. Pas seulement des plantes. Saviez-vous que les Hêtres « remontent » doucement vers le Nord de l'Europe, au profit des chênes dans nos forêts ?
Par conséquent, des espèces que l'on considère désormais comme indigène ne l'était pas il y a plusieurs milliers d'année. Et a contrario, qui nous dit que l'invasive d'aujourd'hui ne sera pas l'indigène de demain ? Mais tout cela est une réaction de la nature face au dérèglement climatique orchestré en grande partie par... l'Homme. Or l'Homo sapiens sapiens est un animal (certains plus que d'autres...) donc pourquoi faire la différence entre une colonisation induite par un animal (endo et ectozoochorie) et un phénomène provoqué par l'Homme. Vous avez deux heures...
Deuxième point qui fait souvent débat : le rôle des plantes invasives dans la nature.
Une plante invasive le sera pour une raison très simple : via divers facteurs celle-ci est devenue plus efficace que son homologue indigène. Certaines ont des conséquences dramatiques sur la biodiversité, notamment pour les insectes qui ont souvent co-évolués avec une seule espèce de plante. Et s'ils disparaissent, peut-être que d'autres maillons de la chaîne alimentaire disparaîtront avec eux ?
Mais... une espèce invasive fait parfois le job d'une espèce qui n'est plus là (ou n'a jamais été là). Sur un terril par exemple, un habitat tout à fait artificiel et chamboulé par l'Homme, les Buddleia daviddi y prolifèrent sans vergogne car ce sont des espèces ligneuses pionnières plus efficaces que les bouleaux indigènes. Mais les "arbres à papillons" vont finalement préparer le terrain pour d'autres essences, indigènes celles-là... Au final, nous obtiendrons une colonisation d'essences ligneuses indigènes semblables à ce qu'on aurait pu obtenir avec les bouleaux au départ mais plus rapidement.
Alors, qu'est-ce qu'on fait ?
1) On s'informe
C'est la première chose à faire. Le problème est assez complexe et fort heureusement des experts décident pour nous de qui sera sur la liste "invasive" pour une région donnée ou non (je continue d’utiliser ce terme pour éviter les confusions). Ces listes officielles peuvent être trouvées facilement sur internet (liens en fin d'article) pour votre pays ou votre région. En effet, une plante peut être invasive à Marseille mais pas du tout à Strasbourg ou à Brest. Il vous suffit de consulter ces listes pour connaître précisément les plantes problématiques, leur impact sur la biodiversité et leur écologie, et les éviter à tout prix dans votre jardin par la suite. Vous saurez ainsi qui rayer de votre liste d'achats futurs.
2) On relativise
C'est un épineux sujet qui fait débat depuis de nombreuses années. Certains protecteurs de la nature sont partisans de la régulation des espèces invasives « à la grenade au phosphore » (c'est une expression, hein ! N'allez pas croire que l'on fait réellement cela dans les milieux naturels), d'autres préfèrent « attendre et voir » en espérant que la nature se chargera de régler le problème. La bonne attitude doit se trouver plus ou moins entre ces deux extrêmes. Mais c'est souvent au car par cas que cela doit se décider. Par exemple, on régule moins qu'avant la Balsamine de l’Himalaya mais nous sommes toujours en combat perpétuel avec la Renouée du Japon. Gardez simplement à l'esprit que personne n'est encore mort d'une attaque de Jussie à grande fleurs et que s'agiter devant son écran d'ordinateur en injuriant tout le monde est d'un intérêt pédagogique très limité. Face aux plantes invasives (comme dans d'autres domaines), l'idéal est de garder la tête froide. C'est mieux pour les nerfs de tout le monde.
3) On laisse faire les pros... ou on travaille avec eux.
L'étude des invasives est une affaire de spécialistes. Souvent les personnes voulant bien faire font pire que mieux. Voilà pourquoi je vous enjoins à ne pas vous en occuper vous-mêmes. Mis à part dans votre propre jardin, où vous faites ce que vous voulez. Évitez juste de vous tromper de plantes et d'arracher une espèce indigène rare pensant que c'était une invasive (c'est déjà arrivé!). Si vous souhaitez toutefois participer activement à la régulation des espèces invasives, les organismes de sauvegarde de la nature recherche toujours des bras supplémentaires pour les aider. Essayez de vous renseigner par chez vous pour trouver l'un de ces organismes. Ils seront ravis de vous renseigner et de vous comptez parmi leurs sympathiques bénévoles.
En guise d'épilogue...
Et enfin, il persiste toujours un conflit séculaire entre horticulteurs, suspectés par les amoureux de la nature de propager des espèces invasives par pure méchanceté, et les naturalistes, suspectés par le parti adverse d'être des empêcheur d'embellir notre quotidien en rond. Personnellement j'ai l'immense honneur de me trouver entre le marteau et l'enclume avec la difficile mission de réconcilier les deux camps.
Allez, faites un bisou !
Vous l'aurez compris, il y a énormément à dire sur le sujet et le présent article n'avait pour but que de défricher un peu le terrain. L'idée était surtout de mettre les points sur les "i" concernant la confusion entre plante invasive et plante envahissante.
En conclusion, sachez que les plantes invasives ou EEE existent. Certaines occasionnent des désastres écologiques, d'autres sont un peu moins dangereuses. Mais l'important est de se renseigner au préalable et d'éviter l'implantation dans votre jardin d'une de ces plantes inscrites sur la liste des EEE de votre région. Après tout, le monde du végétal est tellement vaste que ce serait faire preuve de mauvaise foi de ne pas dénicher une jolie remplaçante à cette invasive inscrite sur votre liste d'achat pour votre nouveau massif.
Et n'oubliez pas, les organismes de protection de la nature ont toujours besoin de bénévoles. Alors n'hésitez pas !
NARI, le 10 Mai 2020
Bonjour Olivier
Personnellement, quand je lis "horticulteurs, suspectés par les amoureux de la nature de propager des espèces invasives par pure méchanceté". Je me trouve devant une telle simplification de la réalité (le bons et les gentils) que j'en oublierais presque que les horticulteurs sont avant tout des générateurs de cash, des commerçants comme les blogueurs qu'ils rémunèrent aux liens et au contenu.
Chacun fait son beurre.
En gros, une autre forme d'écosystèmes.
Il me semble bien que pendant des années horticulteur a disposé d'un MARGE considérable sur le buddleia qu'il n'a pas cherché à rendre stérile. AAAHHH!
De nos jours, l'horticulture commence a communiquer sur sa responsabilité sociale et préfère créer des plantes stériles qui n'échappe pas à son commerce! Alors que le buddléia non stérile se transmet entre particulier.
Donc, a priori, générer des pages pour venir en tête des recherches me gênent toujours car cela masque les autres articles sous couvert d'une relativité toute affichée(a l'image des buddléias sur les friches!).
A partir des moments où une personne écrit sur un sujet de quel écosystème fait-elle partie? Et moi donc!
Bonne journée et bonnes réflexions sur les écosystèmes naturels, humains et aujourd'hui virtuels.
Réponse de Olivier, le 11 Juin 2020
Bonjour, votre réflexion est intéressante. Certes l'argent prend toujours (et ce n'est pas prêt d'arrêter hélas) une grande part dans les décisions de chacun. Et pas seulement dans le domaine de l’horticulture. Mais les consciences s'éveillent et certains, et ils sont de plus en plus nombreux, préfèrent perdre un peu d'argent mais être certain de faire ce qu'il faut pour le bien de tous et de la planète. Voilà pourquoi de plus en plus d'horticulteurs optent pour les cultures en bio, le non-traitement, la proposition de plantes indigènes... Sur le sujet, de la génération de pages pour qu'elles viennent en tête des recherches internet, cela me fait penser à une foule d'individus : on prendra toujours en compte le type qui vocifère à l'envi en agitant fort les bras devant tout le monde, peu importe son discours, tandis que le petit gars au fond, un peu timide et à la voix chevrotante ne sera pas écouté...
Cindy, le 26 Février 2024
Bonjour, merci pour cet article, je dois faire un atelier bientôt sur les espèces invasives en ville pour la commune d'Etterbeek et cet article tombe à pic pour ouvrir la discussion sur le sujet épineux avec des pros nature (on regard et on laisse faire) et surtout des pros jardiniers prêts à tout arracher. Si jamais vous passez par Etterbeek je serais ravie d'échanger sur ce sujet avec vous! Encore merci
Réponse de Olivier, le 29 Février 2024
Bonjour madame, je passe rarement du côté d'Etterbeek hélas. Mais, je suis heureux que mon article puisse servir de point de départ pour une discussion sur un sujet aussi important... que compliqué. J'espère que les naturalistes et les jardiniers parviendront à tomber d'accord. Bonne journée :-)