Avertissement ! La première partie de ce texte est une œuvre de fiction. Toutes ressemblances avec des personnes existantes ayant existé ou pouvant, à la rigueur, exister dans un futur plus ou moins proche (mais avec l’aide d’une De Lorean) seraient probablement purement fortuites. Sinon, si vous vous reconnaissez dans l’article, la direction de Promesse de Fleurs se chargera de vous fournir l’adresse de l’auteur. Cordialement. Bisous bisous. !!
Dans une petite salle sordide et sentant l’urine de pangolin… Un ventilateur ayant assurément connu la guerre des émeus (celle de 1932) brassait des mètres cubes d’air dans le vain espoir d’abaisser un peu la température étouffante insidieusement rentrée dans le bâtiment. Quelques Homo sapiens étaient disposés en cercle sur des chaises en plastique, dont une branlante, la mienne. L’un d’entre eux, prit la parole en premier :
— Alors aujourd’hui, nous accueillons deux petits nouveaux qui ont eux aussi un petit problème dans leur conception du jardin. Je leur laisse le soin de se présenter. Vous en premier peut-être, le chevelu ?
Celui qui venait de prendre la parole me fixait intensément et pointait vers moi un index (– accusateur ? – non, non juste un index).
– Euh… Et bien bonjour, je m’appelle Olivier.
– Bonjour Olivier !, lancèrent ensemble les autres individus du groupe.
– Ce sont en réalité mes lecteurs qui m’ont poussé à venir ici. Il parait que je parle trop de Cornus dans mes articles. J’en place à chaque fois que je peux… Parfois même, sans véritablement m’en rendre compte, j’arrive à y glisser deux ou trois allusions dans la même phrase.
Un petit bonhomme ratatiné leva soudain la tête et demanda :
– Excusez-moi… Quand vous parlez de cornus. Ce sont bien des tomates, n’est-ce pas ?
– Des tomates ? (C’est qui ces cons ?) Alors, au début, mes lecteurs trouvaient ça plutôt drôle, une sorte de comique de répétition en somme. Mais là, ils m’ont bien fait comprendre la dernière fois que c’était la goutte d’eau qui dépassait les bornes. Alors, c’était l’ultimatum soit je venais à ce séminaire, soit…
– Soit ?
– Soit je devais réaliser un article sur la sécheresse en guise de punition.
– Les fourbes ! Et vous la petite dame en rose ? Quelle est votre histoire ?
– Et bien moi, je me nomme Isabelle et je possède près de 6000 rosiers différents dans un petit jardin d’à peine 6 ares…
– Ooooooh !!! (ndlr : ceci est un « Ooooooh » collectif)
— J’en plante partout. Tout le temps. J’écris sur le sujet. J’en rêve. J’en parle. J’en mange. Mais je ne suis pas complétement malade, hein ! D’ailleurs je ne sais même pas ce que je fais ici !
Un peu plus tard, à la pause tisane-dépurative -bio-périmée (il n’y avait plus de café)…
– Pfff… C’est des barges ces gens !, éclatais-je. Il y a un type, quand il plante un arbre, il ne pense même pas y rajouter au pied des Cornus canadensis. N’importe quoi !
– Ne m’en parle pas !, répondit la « dame en rose ». Tu sais ce qu’il a osé me dire le petit gros ?
– Géranium Man ?
– Oui ! Il m’a dit que les roses n’étaient que des fleurs de bobonnes ! Je l’aurais giflé à sang si le formateur n’était pas intervenu illico… D’ailleurs celui-ci nous fait signe de revenir.
– Je vous propose pour clôturer la séance un petit exercice. Une sorte de jeu…
– Youpiii !!
– Non mais attendez, « Hydrangea Girl », je n’ai pas encore expliqué en quoi consisterait ce jeu… Vous allez réaliser un plan de jardin fictif MAIS sans y inclure une seule de vos plantes fétiches. Et je vérifierai !
L’un des membres du groupe fronça les sourcils.
– Je n’ai pas compris ! Vous voulez dire que dans mon cas, je dois concevoir des massifs sans y mettre de fougères. Cela n’a aucun sens ! Je ne sais même pas si c’est possible, humainement.
– Pas une seule !
– Juste une toute petite. Une discrète. Une qui ne ressemble même pas à une fougère. Une Schizaea pectinata ? Pitiéééé !
– Non, pas une !
Tout le monde semblait abattu et abasourdi mais je tentai personnellement un habile et discret subterfuge en lui susurrant à l’oreille tandis que ma collègue « dingue de roses » éclatait en sanglot à côté de moi.
– Pssst ! Un bac de bière trappiste pour vous si vous m’autorisez à glisser un Cornus mas…
Le regard glacial du formateur en dit long. Je n’ai pas pu placer de Cornouiller mâle…
* * *
Vous l’aurez compris, aujourd’hui nous allons parler des siphonnés d’une unique espèce de plantes, des maboules d’un genre précis, des givrés de familles botaniques exclusives, … Bref, des monomaniaques au jardin.
Bon, nous le sommes tous à des degrés divers, reconnaissez-le. Pour certains cela se cantonne à une légère préférence à peine perceptible, mais pour d’autres cela tourne parfois à l’obsession. Comme dans mon propre cas par exemple. Mais je me soigne comme vous avez pu le constater…
D’ailleurs, en ce qui me concerne, lorsque je démarrai mon propre jardin, il y a de cela à peine cinq ans, je me précipitai dans tous les sens les bras chargés de cornouillers divers et variés que je disposais sans la moindre parcimonie ou pondération à travers tout mon jardinet.
Dans quel but me demanderiez-vous ? Aucune idée. Peut-être avais-je en tête de créer une sorte de conservatoire botanique du genre cornus dans une tentative puéril et inachevable d’acquérir la totalité des espèces, cultivars et variétés disponibles sur cette planète.
Oui mais... L’étendue de mon jardin n’était pas infinie. Et mon budget non plus d’ailleurs… Tant est si bien que je dus rapidement calmer mes aspirations cornouilliennes au grand soulagement de mes proches. Je n’en accepte plus désormais qu’un ou deux nouveaux par an (et encore !).
Evitez l’effet « pépinière »
Il faut bien le reconnaître ne planter quasiment qu’un seul type de plantes donne à votre jardin une allure de pépinière pas toujours très esthétique (jamais en réalité !). De plus, essayez autant que possible de vous limiter dans le nombre! Je sais c’est dur. Mais nous possédons rarement un terrain de plusieurs hectares et si on reprend mon exemple des « cornus à fleurs » (enfin à « bractées » plutôt…), je ne vais raisonnablement pas savoir en planter des centaines au risque de me retrouver au sein d’une jungle inextricable ou de jouer à « Où est Charlie ? » pour retrouver une variété précise. Et c’est valable aussi pour les plus petites plantes, nul n’a envie de contempler un champ d’Hostas… sauf les limaces peut-être…
Et surtout et c’est bien cela le pire, ils finiront immanquablement par tomber dans la médiocrité, car pas du tout mis en valeur. Imaginez un instant (et pardonnez par avance ma comparaison) une Ferrari garée sur un parking au sein duquel il n’y a que des voitures de « Monsieur ou Madame Tout-le-Monde ». On la remarque au premier coup d’œil même sans être un expert bagnolistique. En revanche, lors d’un rassemblement de propriétaires de voitures de luxe, cette dernière semble presque invisible. Elle est noyée dans la masse.
Voilà pourquoi il est beaucoup plus judicieux, plutôt que de placer quatre raretés au mètre carré, de les amener à côtoyer des plantes plus banales, plus humbles, de les « cacher » presque, de sorte que l’on doive un peu les découvrir ou les dénicher au détour d’un sentier. Ces plantes plus modestes, mais pas nécessairement dénuées d’intérêt, seront comme le collectif qui portera aux cieux votre plante préférée, l’équipe qui fera gagner le tour de France à son leader (il faut vraiment que j’arrête avec les métaphores…).
Lorsqu’on se balade dans son jardin avec des ami(e)s, il est bien plus agréable d’attendre que vos hôtes s’extasient sur votre plante chérie qui surgit, splendide et étincelant deus ex machina, d’un parterre ou d’un massif plutôt que de les bassiner de noms savants et délébiles (car ils auront tôt fait de les effacer de leur mémoire) durant toute la visite de votre quasi-monoculture tel un guide un peu blasé d’un musée consacré au Jeu de paume.
Votre jardin est votre œuvre d’art
Faire un jardin est un peu comme réaliser une œuvre d’art sur des décennies, parfois plus longtemps si ledit jardin vous survit. Et les plantes les plus précieuses à vos yeux ne doivent être que les petites touches de pinceau qui sublimeront votre toile. Le sourire de la Joconde, la perle de la jeune fille de Vermeer, la pomme d’un Magritte, les chaussettes de Géricault (euh…)… Voilà ! Vos plus beaux et rares spécimens doivent être tout cela à la fois. Le point d’orgue de votre jardin. Évitez-leur à tout prix de tomber dans l’anonymat en les rangeant en rang d’oignon comme sur l’étal d’un horticulteur. D’ailleurs en réalité, même pour la vente, les meilleurs d’entre eux tentent de les mettre joliment en scène pour plus d’impact visuel. Regardez bien la prochaine fois que vous vous baladerez dans une fête des plantes.
Le fait de fournir un écrin pour sublimer vos « vedettes » sera de plus l’occasion d’élargir ses horizons en matière de connaissance végétale. Pour ce faire vous avez l’embarras du choix : papoter avec vos voisins et voisines, feuilleter des catalogues, compulser des livres, se couper les doigts sur des pages de magazines de jardinage, se perdre dans des blogs sur le jardin, kidnapper des professionnels de l’horticulture, risquer des visites de jardins botaniques ou d’arboretum, tenter de rentrer dans des fêtes de plantes (et de ne pas trop acheter !)…
D’autres bénéfices des associations de plantes…
On parle beaucoup d’esthétique pour l’instant mais il y a d’autres bénéfices à faire accompagner nos plus beaux exemplaires. Les protections « physiques » : réduction de l’effet néfaste du vent, maintien d’une bonne humidité au pied, ombre bienfaitrice, « tuteur » occasionnel… Et l’allélopathie (songez à ressortir ce mot à votre prochain dîner de famille !), soit les effets biochimiques positifs ou négatifs des plantes entre elles : effet répulsif pour tel ravageur ou telle maladie cryptogamique, effet attractif au contraire pour attirer des pollinisateurs par exemple, apport d’azote ou d’autres éléments minéraux aux racines,… Les avantages de ces associations cités ici ne sont qu’une série d’exemples non exhaustifs. En effet, ce sujet nécessiterait à lui seul un livre entier. Et encore ce dernier ne saurait jamais être complet.
En conclusion…
Nous avons tous des marottes, au jardin comme pour le reste, mais les possibilités en matière de choix végétal sont tellement vastes à notre époque, et ça ne fait que s’accentuer d’année en année, que s’obnubiler sur un genre ou une famille unique paraît un peu triste, voire pathétique. Pourquoi ne pas saisir l’occasion de s’intéresser à d’autres plantes dont parfois on ne soupçonnait même pas l’existence, pour accompagner au mieux vos chouchous ? Ce sera bénéfique pour la plante comme pour vous.
Mais ça ne veut pas dire non plus qu’on ne peut pas se lancer dans une collection. Non, non, bien au contraire ! Mais j’attends de vous que vous disposiez tout cela dans un magnifique écrin, une belle vitrine chlorophyllienne. Vos plantes préférées, vos petits bijoux, celles qui font déplacer les foules chez vous, doivent rester des vedettes et comme telles on ne doit plus voir qu’elles. Les autres plantes alentour ne leur servant plus, en tout cas pour un temps, que de simple faire-valoir. Un piédestal verdoyant pour une superbe œuvre d’art…
Catherine D, le 27 Août 2018
Excellent ! Merci Olivier ;)