Il n’y a pas qu’en matière de vêtements, de décoration, ou de cuisine que la mode impose ses diktats ! Le jardin fait lui aussi partie des univers fortement influencés par les modes, les « tendances » comme on se plait à le dire aujourd’hui.
Si le jardin des années 2020 n’a plus grand chose en commun avec celui des années 50, son évolution nous parle plus largement de l’évolution de nos sociétés, de nos goûts, de notre façon de vivre différemment. Envie croissante de naturel, prise de conscience du réchauffement climatique et adaptation constante à des végétaux résistant à la chaleur, multiplication vertigineuse des variétés et des hybrides, innovations dans l’entretien, introduction de la permaculture, jardin en mouvement et courants nouveaux chez les paysagistes… C’est fou comment en quelques années, les jardins de particuliers, mais aussi les aménagements urbains, nous offrent un autre visage, d’autres couleurs, un autre style.
Mais comme le disait Coco Chanel, « la mode se démode, le style jamais »… Alors faisons un petit voyage dans un temps pas si lointain, et voyons comment le jardin d’aujourd’hui en a repris certains codes, et s’en est affranchi pour devenir un jardin en perpétuelle recherche de nouveautés.
Mode et style
« La mode, c’est ce qui se démode » affirmait Jean Cocteau… il avait raison lui aussi, et en matière de jardins, on le constate bien souvent : de nombreuses plantes tombent en désuétude, puis reviennent sur le devant de la scène, parfois sans trop savoir pourquoi. Soit parce que leur côté désuet séduit à nouveau, soit parce que l’on éprouve le besoin de revenir de temps en temps à des classiques au jardin… ou tout simplement que le renouveau est un besoin essentiel également pour nos extérieurs.
Pour preuve l’engouement pour ces plantes dites de grand-mère ou de jardin de curé : les coquelourdes, roses trémières, nigelles et autres digitales reviennent en force dans les aménagements. Il y a là un effet très vintage , tendance forte actuellement, une mode du jardin de cottage, plus naturel, et bien sûr un attrait soudain accru pour toutes les plantes « anti-soif » du monde végétal. La grande mode des graminées n’aura échappé à personne, et là encore colle à la fois à un retour à plus de naturel, et à une actualité brûlante si on peut dire sur le changement climatique et les plantes résistant à la sécheresse !
Plus largement, le style des jardins, nous y reviendrons, est en constante mutation : on assiste à l’émergence de nouveaux jardins, après la grande tendance du jardin zen et des jardins graphiques et minéraux qui ont marqué deux bonnes décennies.
Des plantes désuètes ?
Une petite balade en ville ou en campagne, et… c’est très clair, certains végétaux ont déserté nos jardins, ou, quand ils sont encore présents, sont le reflet d’un autre temps. Exit les haies monospécifiques de Thuja ou de laurier palme, au-revoir les Cortaderias qui paradaient isolés devant les maisons ou les massifs de rosiers polyantha et les Juniperus qui régnaient en seuls maîtres sur les pelouses… On ne décore vraiment plus les abords de sa maison de la même façon qu’il y a 20 ou 30 ans.
Dahlias pompon au look jugé trop horticole il fut un temps, et réclamant beaucoup trop d’eau pour le jardinier du XXIè siècle, hortensias boule catalogués bien trop bretonnants et plus vraiment dans le vent, Aucuba japonica cantonnés tristement au fond du jardin d’ombre, Mahonias piquants ou Cotoneasters dépassés… : certaines vivaces et arbustes tombés en disgrâce s’en sont parfois plutôt bien sortis et connaissent un regain de popularité.
Car il y a bien des végétaux « has been » qui reviennent, mais dans d’autres contextes, d’autres options d’aménagements. L’exemple type est celui de l’herbe de la pampa, cet indétrônable des années 80. Le voici à nouveau désirable, cette fois-ci dans une ambiance de jardin de graminées, associé à des Miscanthus ou autres Calamagrostis pour constituer un fond de jardin naturaliste grandiose. De leur côté, les œillets d’Inde s’avèrent aujourd’hui plutôt utiles et ornementaux au potager plutôt qu’en bordure fleurie.
Idem pour de nombreuses cactées ou plantes d’ombre qu’affectionnaient nos grands-mères, que l’on aurait jurées mises au rebut il n’y a pas si longtemps et qui investissent désormais les terrasses graphiques ou exotiques. Les Hydrangeas ont eux vu leur gamme s’élargir considérablement avec de nouveaux cultivars asiatiques et américains plus souples, aux tons plus doux… en un mot, plus tendance ! Quant à l’Aucuba ou les Aspidistras pour ne citer qu’eux, ils se sont entichés d’ambiances exotiques très prisées. Ces plantes sans entretien ou quasiment, ou bien rustiques, reprennent du galon, et se voient ainsi offrir une seconde chance au jardin.
Des végétaux intemporels... et des stars naissantes
Il y a les tendances et les influences, et il y a les plantes intemporelles, celles qui passent les modes et les générations sans se soucier du qu'en-dira-t-on : les rosiers et les clématites, bien sûr les azalées et les narcisses, les bouleaux et les érables rougissant en automne, les lavandes ou les fusains.
Mais le jardin voit souvent apparaitre des vivaces ou arbustes stars ou « bankable » le temps d’une décennie… voire un peu plus, comme ou le Ginkgo au feuillage singulier, le Dicksonia antartica, les hostas, les Cornus, la Verveine de Buenos Aires… C’est sans compter les découvertes horticoles permettant un large panel de gammes compactes et naines, de formes fastigiées ou colonnaires permettant toutes les audaces ! Rajoutons à ces grandes tendances, la prise en compte en termes de paysage, même chez les particuliers, de chambres de verdures plus présentes, et de l’importance de feuillages larges ou de formes graphiques comme les Gunneras ou les Melianthus, parmi tant d’autres…
Un jardin, reflet d'une époque
A l’époque des 30 glorieuses, d’une explosion économique, du tout jetable, les annuelles étaient reines, on en abusait dans les massifs et jardinières, où leurs coloris chatoyants égayaient l’été… avant d’être déplantées jusqu’au printemps suivant. Les conifères poussaient partout, rampants, coniques, pleureurs, peu importe, ils s’affirmaient comme végétal totem, arbre absolu dans tout jardin qui se respecte. La pelouse verte, impeccablement tondue, était la fierté de cet éden immaculé.
Alors qu’est-ce qui a changé ?
Certains paysagistes comme Gilles Clément et les prises de conscience environnementales ont fait évoluer nos habitudes au jardin. Aujourd’hui, à l’ère du réchauffement climatique et de la prise de conscience d’une planète plus vertueuse, on pense jardin durable avec des plantes vivaces et l’on favorise les plantes sobres, les arbres et arbustes résistant à la sécheresse. La biodiversité s’impose en composant avec des végétaux mellifères, on préfère de plus en plus les plantes indigènes, endémiques de nos régions. Le compostage et le paillage sont devenus les nouveaux gestes raisonnés du jardinier moderne… Il est par exemple impossible aujourd’hui de concevoir un jardin nécessitant des volumes d’eau importants, et de fait, certaines plantes « gourmandes » se font plus rares, comme nos fameux Dahlias.
Et puis, il y a cette envie de retour à un jardin naturel après une vague de jardins ultra maitrisés, par la taille, les formes architecturées, pour un esthétisme élégant certes, mais poussé un temps à son extrême. Avec cette tendance naturaliste, nous vivons certainement l’apogée du jardin de graminées et ses plus beaux jardins partout dans le monde. L’exotisme a aussi fait une grande percée dans nos jardins, avec la mise à disposition de plus en plus de végétaux venus des antipodes, Phormiums, Cycas revoluta et Cordylines graphiques, mais aussi Pittosporums, Ophiopogons, et autres Aloes chatoyants. L’unique bananier et le palmier (souvent un Trachycharpus fortunei) qui ornaient le jardin, souvent bien esseulés, ont trouvé pour les accompagner une cohorte de végétaux tous plus attrayants les uns que les autres ! On peut pour cela remercier le travail des pépiniéristes et la recherche horticole, notamment les hybridations, qui ont permis de cultiver sous nos latitudes de plus en plus de variétés résistantes, adaptables (presque) partout dans l’hexagone…
C’est aussi la preuve que le temps du « tout pour le jardin » est révolu. L’importance accordée à nos loisirs, les neo-jardiniers ne voulant pas sacrifier tout leur temps libre à leur espace vert, est en partie une conséquence des innovations en terme d’entretien. Tondeuses robot, instauration de jachères fleuries et de la gestion différenciée dans le traitement des pelouses, mise en place systématique de couvre-sols et de paillages pour gagner notamment en temps de désherbage… Dans la mouvance de la « slow food », on entend désormais parler du « slow gardening », cette philosophie qui prônerait un certain hédonisme au jardin, pour moins de contraintes et plus de plaisir, pour ne plus vivre le jardin comme une corvée, mais le considérer dans un contexte écologique, économique et simplifié… A voir si ce mouvement trouvera réellement sa place, le jardin nécessitant, on le sait bien, de la patience et… un minimum de temps à y consacrer !
Enfin, de confinements en déconfinements, la crise sanitaire que nous vivons a vu un bon nombre de gens s’intéresser au jardin de beaucoup plus près. C’est vrai que les jardins n’ont jamais autant eu le vent en poupe. On avait déjà observé, même avant cette crise du Covid incroyable, un retour vers la campagne, surtout chez les citadins en quête d’espace et de nature. La présence croissante de foires aux plantes et divers trocs entre particuliers a aussi permis de nombreux échanges, et une vraie curiosité pour le végétal.
Avec internet, Instagram et Pinterest notamment, les tendances bougent sans même qu’on s’en rende compte. Les réseaux sociaux, qu’on les aime ou pas, font et défont les modes. Quand on voit, entre autres, combien les plantes d’intérieur, jadis considérées plantes de grand-mère, s’affichent désormais en star des petits appartements parisiens ou urbains, on comprend mieux leur influence chez les jeunes jardiniers en herbe ! Plus globalement, la somme d’information trouvée sur internet est une manne et une source d’inspiration pour tout un chacun. La télévision et le monde de l’édition ont aussi pris le sujet en main depuis plusieurs décennies, proposant des programmes, des livres et des magazines toujours plus nombreux, et de plus en plus spécialisés. En Angleterre l’émission culte World’s Gardeners obtient des audiences de plus de 2 millions chaque semaine, quand, en France, Silence ça pousse, et en Belgique Jardins et Loisirs sont devenus ultra populaires… Il est loin le temps où Nicolas le jardinier régnait seul en maitre sur le petit écran.
Les tendances dans l'aménagement des jardins
Bien sûr il y a les grands courants et styles de jardins –à l’anglaise, à l’italienne, à la française, le jardin alpin ou japonais, le jardin exotique ou méditerranéen, la rocaille ou le jardin contemporain. Ceux-ci sont des valeurs sûres, établies pour certains depuis des siècles, bases du paysagisme, modèles et inspirations jamais démenties jusqu’à nos jours.
La tendance de style va vers un minimalisme accru ou une recherche d’épure dans les jardins contemporains. C’est la grande mode des jardins monochromes, du fameux jardin blanc, mais aussi de topiaires et d’un graphisme affirmé en architecture paysagère, d’un mobilier ultra design en résine tressée aux coloris sombres. Ou bien à l’inverse d’un jardin décomplexé, de plus en plus naturel voire naturaliste, du jardin sauvage laissant la biodiversité reine, au jardin bohème qui serait une nouvelle forme de jardin anglais réinventé.
Nous vivons aussi de plus en plus en ville, et le petit jardin de ville ou jardin urbain est dans l’air du temps, à en juger par la quantité d’ouvrages lui étant consacré. C’est là aussi une autre approche du jardin, considéré désormais comme une pièce à vivre à part entière, particulièrement en milieu urbain. Un jardin de pots, un jardin patio ou un jardin terrasse, même les balcons ont revu leur copie, eux qui n’étaient que des supports à jardinières en plastique… Sans parler des toits, murs et bientôt immeubles végétalisés qui redessinent la ville.
Au niveau des mobiliers aussi c’est la révolution, ou plutôt un retour là aussi à une tendance plus écolo et naturelle, presque baba cool des années 70 : un jardin bohème voit le jour avec ses fauteuils en rotin et ses matelas de sol colorés. Il fait suite à plusieurs années dédiées à la résine ou la fibre de ciment pour les conteneurs… la terre cuite restant elle formidablement indémodable et polyvalente.
On compte désormais sur des variantes en terme d’aménagements de jardin, ou plus précisément des tendances fortes qui viennent marquer certaines époques.
Après la (trop ?) grande mode du pas japonais pour suggérer nos allées, les arbustes façonnés en topiaire et autres niwakis… à tout va, la ganivelle en nouveau mode de clôture pour jardin prairie, le jardin monochrome, le petit jardin urbain décliné en version design ou bobo, le jardin jungle, l’émergence des jardins et potagers mandala… vers quel nouveau jardin se dirige-t-on ? Quelles seront les plantes star de demain ? Quand on sait que le suranné redevient sexy, que des plantes qui nous étaient inconnues comme les sublimes Tricyrtis ou les sculpturales Mangaves sont en passe de devenir populaires… tout reste ouvert au paradis vert : les modes se succèdent, le jardin reste notre refuge.
Ce qui est sûr, c’est que, réchauffement climatique oblige, et exode rural probable suite à la crise sanitaire, les jardins n’ont pas fini d’évoluer et de s’adapter à nos modes de vie !
Pour aller plus loin
Un très joli livre « Modes et tendances au jardin, des années 60 à nos jours » paru chez Ulmer en 2009 portait déjà, il y a plus de 10 ans, un regard utile sur les évolutions du jardin. Je vous le conseille vivement tant il reste d’actualité, et que de nombreux aspects non abordés ici, faute de place, y sont soulignés !
Isabelle Olikier, le 29 Novembre 2021
Très chouette article. Bravo !
Réponse de Gwenaëlle, le 29 Novembre 2021
Merci pour ce gentil commentaire !
Betty, le 25 Mars 2022
Intéressant ce comparatif avec la mode^^.
je garderai toujours mon pot en brouette ^^ .
La conclusion est tout à fait vrai, les jardin s'adapte à notre mode de vie mais surtout nos envie !