Les floraisons des vivaces vont toujours crescendo au jardin Hermannshof à mesure que l'été s'installe ! Car oui, c'était bien l'été dans cette région chaude du sud-ouest de l'Allemagne lors de ma dernière visite le 18 juin avec des échinacéas déjà en pleine fleur dans les massifs de prairie. Je propose de vous les faire découvrir avec la 4ème partie de mon reportage...
Steppes et prairies
On appelle "steppes" des milieux dominés par les graminées et les vivaces résistantes au sec. Ce sont des paysages typiques de l'Asie centrale et de l'Europe de l'Est et du Sud-Est. Dans ces régions, les pluies tombent surtout en hiver et au printemps et se font très rares en été, c'est pourquoi la floraison des plantes de steppe se concentre sur mai-juin, ma visite tombait donc à pic ! Au printemps, beaucoup de fleurs y sont aussi produites par des bulbeuses comme les tulipes et les alliums, qui engrangent alors des réserves dans leur bulbe pour passer l'été brûlant "en dormance", bien à l'abri sous plusieurs dizaines de centimètres de terre !
Le massif des "sauges-achillées" en est un excellent exemple que j'ai pu photographier alors qu'il était à son apogée. Outre les achillées (Achillea filipendulina) et de nombreuses espèces de sauges (Salvia spp.), on y trouve des Knautia macedonica, apportant leur superbe note de rouge bordeaux, des Phlomis samia et Phlomis maximowiczii (proche de P. tuberosa), deux espèces discrètes par leur couleur aux tons mauves et bruns mais spectaculaires par leur architecture donnée par l'étagement de leur floraison tout au long des tiges. Ce graphisme perdurera après la floraison et jusqu'en fin d'hiver : rappelez-vous, je vous les montrais dans mon reportage du mois de mars. Graphiques également, les têtes rondes des alliums désormais fanés à l'exception du curieux 'Forelock' à l'effet décoiffé, et les hauts candélabres jaunes des molènes (Verbascum densiflorum). En allant vers la pelouse, des graminées peu connues justifieront bientôt le nom "été argenté" attribué à cette plantation : Stipa splendens, comme une version gracile de la Stipa gigantea, ondulante au vent, et Chrysopogon gryllus, aux inflorescences faisant penser à hérissons, sont celles que j'ai plus particulièrement remarquées avec leurs tiges culminant entre 2 et 3 mètres de hauteur.
En vis-à-vis, le milieu dit de "prairie sèche nord-américaine" leur ressemble, bien que les graminées soient visuellement moins présentes et les floraisons un peu plus tardives. Aménagée en 2006, cette plantation "graminées-échinacées" comprend de nombreuses espèces remarquables, pour la plupart issues de graines récoltées directement sur place aux Etats-Unis par les équipes d'Hermannshof. L'association de différentes espèces d'échinacées crée un spectacle magnifique, riche en couleurs et en formes : Echinacea paradoxa, la seule espèce jaune, Echinacea simulata aux pétales retombants rose brillant, et Echinacea pallida, très proche mais d'un rose plus pâle. C'est cette fois une graminée très connue, Stipa tenuissima, qui agit comme liant, avec le brio qu'on lui connait ! Même si les plantes désormais bien installées résistent naturellement au sec, l'aide d'un paillage de gravillons d'origine locale étalés sur 7-8 cm d'épaisseur n'en est pas moins très appréciée...
Pause fraîcheur à l'ombre
Après ce voyage qui nous a mené des frontières du vieux continent jusqu'aux prairies du Midwest américain, une "pause fraîcheur" dans les sous-bois européens s'imposait... Avant d'y entrer, à la lisière d'un cèdre bleu, une association entre deux touffes plantureuses de delphiniums bleu clair et bleu foncé et un géranium vivace 'Brookside' tout aussi bleu nous invite déjà au calme et à la rêverie. Sans doute un effet de cette couleur merveilleuse et indispensable au jardin ! Ainsi judicieusement placée pour être vue de loin, elle a aussi le don de repousser les frontières visuelles en créant un flou qui rappelle le "bleuté des lointains" entourant les lignes d'horizons.
A peine entré dans ces sous-bois, je pâlis déjà d'envie devant les lis hybrides de martagon en pleine floraison. Issu du croisement entre des espèces asiatiques et le lis martagon spontané dans les Alpes, leurs fleurs ont gardé la forme typique en turbans turcs de ce dernier, mais avec toute une déclinaison de couleurs chaudes au lieu du rose et blanc de l'original. Un sol léger, humifère et bien riche, plutôt frais, à une exposition ensoleillée à mi-ombragée (pas la pleine ombre, ils n'y fleurissent pas !), sont les conditions de leur succès. Conditions malheureusement quasi impossibles à réunir dans mon propre jardin... du coup je dois me contenter de profiter de la beauté fugace de ces lis dans d'autres jardins, comme à Hermannshof ! Pour les accompagner : fougères, barbe-de-bouc, les dernières digitales dont la superbe 'Pam's Choice' et une graminée de choix pour la mi-ombre, Melica altissima 'Atropurpurea' aux délicats épis rose pourpré.
Dans la partie de sous-bois "asiatique", les floraisons se font maintenant rares mais c'est sans compter sur la beauté des feuillages des hostas. Un choix de variétés triées sur le volet, aux feuilles bien colorées et surtout bien coriaces pour résister aux limaces (autant que possible), et un partenaire de choix pour les mettre en valeur : l'herbe-du-Japon (Hakonechloa macra), souple et effilée, assurent la réussite de ce tableau facile à reproduire, comme Michael nous l'a démontré dans l'un de ses derniers billets à retrouver ici !
Et ce n'est pas fini !
De l'autre côté de la villa d'Hermannshof, on retrouve le thème du continent américain avec cette fois une prairie haute, sur sol frais. Cette grande surface, encore nue il y a 3 mois, est aujourd'hui surpeuplée de vivaces géantes qui ont atteint la taille des visiteurs. Un chemin sinueux incite à s'y engager malgré tout pour aller admirer les fleurs qui commencent tout juste à y apparaître : et oui ! il leur a d'abord fallu du temps pour pousser aussi haut avant de pouvoir fleurir. Alors que les plantations de steppe vont se faire plus discrètes, ici le show va régulièrement monter en puissance pour atteindre des sommets en septembre-octobre.
Petite parenthèse ligneuse pour vous montrer le dernier Cornus en fleurs, la variété 'Porlock' issue du croisement entre deux espèces de choix : Cornus kousa et Cornus capitata. Extraordinairement abondante, sa floraison crème se teinte de rose par patchs entiers comme si l'on avait versé un coulis de fruits rouges sur l'arbuste. On pourrait dire que sa beauté dépasse celle de ses 2 parents réunis !
Juste au coin, la prairie sèche mixte vivaces-graminées, fleurit elle un peu plus tôt (c'est-à-dire maintenant) et j'y relève quelques "belles plantes" & autres curiosités : Digitalis parviflora, aux inflorescences bien droites brun foncé, ne manquant pas d'effet, Parthenium integrifolium, du Missouri, à fleurs en forme de petits boutons blanc cassé, et la Monarda fistulosa subsp. menthifolia, clin d'oeil à la vedette du dernier catalogue "printemps-été" de Promesse de Fleurs. Bien d'autres fleurs encore se détachent de cette prairie dominée par les Echinacea pallida, parmi les plus tolérants au sec avec l'espèce Echinacea tennessensis.
Sous un if vénérable où croît un gazon toujours bien vert et bien ras de Festuca gautieri, un groupe de Yucca filamentosa, variété smalliana, interpelle par sa floraison en clochettes blanches réunies sur des épis d'un mètre et demi de haut. C'est là la "pelouse steppique", c'est-à-dire une steppe avec un sol plus pauvre et plus sec encore que celui d'une steppe habituelle... Courageux yuccas !
Si jamais la route de vos vacances devait passer par cette belle région entre vignes et Rhin du Bade-Württemberg, arrêtez-vous vous aussi à Weinheim pour visiter Hermannshof, j'espère vous en avoir convaincu : ce jardin le mérite ! Il est ouvert tous les jours de 10h à 19h et cerise sur le gâteau, son accès est complètement gratuit ! (Voir ici les infos pratiques en allemand + anglais)
Christine, le 24 Juillet 2015
Magnifiques photos et commentaires toujours intéressants. Je suis vos billets avec avidité ! Beaucoup d'images sont parties immédiatement sur Pinterest pour les consulter plus tard.
J'ai la chance d'habiter dans une région où les lis martagon poussent en abondance à l'état sauvage et leur milieu préféré est sec et pauvre, au milieu de la callune notamment. On m'a toujours dit que les lis martagon étaient à essayer dans les terrains pauvres. Les hybrides seraient-ils plus difficiles?
Réponse de Pierre, le 27 Juillet 2015
Merci Christine, vous m'apprenez quelque chose ! J'ai tout à fait pu me faire une idée fausse sur les lis martagon. J'ai coutume de penser que pour réussir les lis il faut un sol humifère et léger, frais, riche et profond, et par-dessus du tout du plein soleil, sauf pour le martagon qui vient à mi-ombre. Vous m'encouragez alors à réessayer, parce que j'ai beau jardinier dans le Nord, un sol pauvre et sec (en été), j'ai ! Ce qui me manque, c'est le soleil... entendons-nous bien, ce n'est pas parce que c'est dans le Nord, mais parce que les arbres sont devenus un peu grands pour mon modeste jardin...
Réponse de Christine, le 3 Août 2015
Oui, oui, réessayez ! Il y a quelques années, j'avais déplacé dans mon jardin un bulbe d'un endroit caillouteux et pauvre pour lui donner de meilleures conditions - humus, fraîcheur etc. Ma récompense? De belles feuilles, mais plus de fleurs. Je sais que les lis n'aiment pas être dérangés, donc j'ai été patiente. Toujours rien. Puis sur les conseils d'un jardinier je l'ai remis en terrain pauvre, et il a recommencé à fleurir immédiatement. Un sol acide est utile aussi je crois. Alors bonne chance !
sophie, le 6 Août 2015
reportage extrêmement intéressant sur un superbe jardin! Merci!
anne, le 7 Août 2015
j"ai eu un grand plaisir à lire votre reportage , le texte bien documenté, les photos ( ah les échinacées roses et jaunes avec les stipas !! ) les petites vignettes explicatives sous la grde photo , tout est parfait ! j'attends avec impatience vos prochains reportages