La semaine dernière, j’ai reçu une invitation comme il y en a beaucoup d’autres sur Facebook : pas de message, un nom inconnu mais des dizaines d’amis jardinier en commun, et pas de photo de profil. A la place, cependant, la photo d’une main.

Bonjour Lio Hélix !

Une main, à la paume large, aux doigts épais comme des manches de pelle, une main qui doit être capable d’enfoncer des clous ou de creuser des trous sans l’aide d’un outil, « à main nue ».

Une main énorme, le pouce tendu, fièrement dressé, une main d’homme, une « bonne grosse paluche » comme on le dit dans les campagnes près de chez moi.

Sur sa page, d’autres photos publiques similaires de cette main d’homme, souillé mais fière.

Lio. Une récolte.

 

Simplement parce que cet homme s’est présenté à moi sous l’image d’une main maculée de terre, une main de jardinier, cette demande de contact, je l’ai acceptée car elle faisait en moi écho à mes propres photos : celles que je prends des mains de mon père.

Les mains de mon père qui jardinent. Les mains de mon père qui lavent des pommes avant de les presser. Les mains de mon père qui confectionnent des éclisses de coudrier afin de tresser des paniers.

Papa. Bientôt du jus.

Et derrière les mains de mon père, derrière ces photos partielles laissant à peine deviner une partie de la réalité : mon père. Mon père qui jardine. Mon père qui lave et presse des pommes. Mon père qui tresse des paniers en éclisses de coudrier.


Mon père, avec ses grosses mains remplies de cicatrices (des mains qui ont beaucoup travaillé !), avec ses mains couvertes de sparadraps (des mains qui travaillent toujours beaucoup). Ses mains avec des épines car il y a toujours des rosiers et des ronces au jardin. Ses mains avec des coupures, car en début de saison les sécateurs sont bien affutés. Ses mains avec des bleus, parce qu’un coup de marteau s’est perdu ou qu'une pierre trop lourde est tombée. Ses mains avec des échardes car une planche s'est brisée.

Papa. Confection des éclisses de coudrier.

 

Ses mains toutes abimées parce que malgré sa retraite depuis longtemps prise, ses mains continuent de travailler et de bricoler. Pour moi.

Ses mains qui sous leurs ongles aussi courts soient-ils retiennent toujours un peu de terre, ses mains qui malgré tous les savons du monde ne seront jamais blanches, jamais montrables, jamais convenables, jamais présentables.

Des mains sales. Des mains sèches. Des mains rêches. Des mains calleuses.

Lio. Et un sparadrap !

Des mains sales, tordues, blessées, abimées.

Des mains d’ouvrier, de vannier, de jardinier.

Des mains dont longtemps la « bonne » société a voulu leur faire honte…

Jadis, avant que l’industriel plastique de Chine et le métal mal forgé n’envahissent les rayons de nos jardineries et par la suite nos remises de jardin, les outils étaient ce que quelqu'un possédait de plus important : marteaux, rabots, truelles, tournevis, pelles, plantoirs, sécateurs, bêches, sarcloirs, râteaux, faux étaient entretenus avec soin, choyés, révérés. Mais chaque jardinier, chaque ouvrier, savait au fond de lui-même que le plus important, le prolongement même de l’outil, le plus bel outil et le plus précieux de l’homme était, en fait, ses propres mains.

Ses mains capables de construire des murs, de fendre des bûches, et d’arracher à la terre le fruit de leur si dur labeur.

Des mains à respecter.

Alors, en honneur de mon nouvel ami, et surtout à la gloire de mon père, laissez-moi aujourd’hui, avec énormément de reconnaissance et d’humilité, rendre hommage à tous ceux qui grâce à leurs mains permettent à des milliers de fleurs d’éclore dans les jardins de nos vies.