Dans le grand livre des traditions du jardinage, les Saints de Glace tiennent un chapitre particulier, enveloppé de brumes matinales et de givre inattendu. La scène se déroule chaque année, autour des 11, 12, et 13 mai, une période clé où les jardiniers scrutent le ciel avec une appréhension mêlée d'espoir. Les protagonistes de cette histoire ? Trois figures historiques - Mamert, Pancrace, et Servais - transformées en sentinelles climatiques par la sagesse populaire et le folklore rural.
Les véritables saints de glace
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Mamert, l'initiateur de cette séquence glacée, ouvre le bal le 11 mai. Connu pour avoir instauré les "rogations", des processions de prières pour protéger les récoltes, il est le premier avertisseur d'un possible retour du froid. Vient ensuite Pancrace le 12 mai, jeune saint martyr qui, malgré son innocence, n'hésite pas à rappeler que le printemps n'a pas encore posé ses valises définitivement. Ensuite, Servais clôt cette période le 13 mai, dernier garde-fou contre les assauts hivernaux tardifs.
La tradition populaire prête à ces saints de glace, une influence sur le climat, capable d'engendrer des gelées tardives nocturnes qui menacent les cultures naissantes. Face à cette croyance, agriculteurs et jardiniers se tournaient vers ces figures spirituelles, implorant leur clémence pour préserver les plantations vulnérables aux assauts du froid.
Seulement trois saints ?
Eh bien... pas vraiment.
Dans les contrées où le froid persiste, notamment dans les zones les plus fraîches comme les Ardennes, la Normandie intérieure, les Hauts-de-France, le Centre, ou l'Allier, on a pu observer des gelées en plaine, parfois jusqu'à début juin. Pour ces régions, la tradition enrichit le trio initial des saints de glace par l'ajout de quelques figures vénérées pour leur lien avec le climat de fin de printemps.
Saint Boniface est ainsi honoré le 14 mai, évoqué par le dicton qui mentionne son entrée "en brisant la glace". Dans le sud, il prend la place de saint Mamert, marquant ainsi le début des célébrations.
On célèbre également Sainte-Sophie, connue sous le nom de Kalte Sophia ou "la froide Sophie" en Alsace, Moselle et en Allemagne. Sa fête, le 15 mai, s'inscrit dans la tradition des Eisheilige, les saints de glace allemands, étendus du 11 au 15 mai. Saint Yves est fêté le 19 mai, particulièrement en Bretagne où il est considéré comme le dernier gardien contre le froid de mai, illustré par le dicton qui le décrit comme le plus redoutable lorsqu'il se manifeste. Ensuite, Saint Bernardin, célébré le 20 mai, est associé à un adage qui met en garde contre les gels tardifs susceptibles de compromettre la récolte du vin. Et enfin, Saint Urbain marque la fin de cette période le 25 mai, fermant le cycle des saints protecteurs contre les caprices climatiques de fin de printemps.
Dans le sud de l'Europe, comme en Ligurie, au nord de l'Italie, les saints de glace sont incarnés par San Pancrazio (saint Pancrace), San Servazio (saint Servais) et San Bonifazio (saint Boniface), célébrés du 12 au 14 mai, témoignant ainsi de la richesse et de la variété des traditions liées à cette période charnière de l'année.
Une réalité météorologique capricieuse
Derrière le voile de la tradition, se cache une réalité météorologique tangible. Les Saints de Glace ne sont pas qu'une légende ancienne ou une superstition persistante. Ils symbolisent une période de transition climatique, où les masses d'air froid du nord peuvent encore bousculer l'atmosphère, provoquant des chutes de température parfois surprenantes. Cette période critique, bien que marquée par le folklore, repose sur des observations empiriques de changements météorologiques soudains susceptibles d'affecter la croissance des plantes.
La science nous enseigne que ces variations de température ne sont pas directement liées à ces trois saints historiques, mais plutôt à la dynamique complexe de l'atmosphère terrestre à cette époque de l'année. Cependant, le calendrier des Saints de Glace reste un repère précieux pour les jardiniers, les incitant à la prudence avant de céder à l'enthousiasme des plantations estivales.
À cette époque de l'année, la Terre, dans son orbite autour du Soleil, se trouve à un point où l'hémisphère nord sort progressivement de la froideur de l'hiver, cherchant à se réchauffer sous les rayons printaniers. Cependant, cette transition n'est pas linéaire et est souvent perturbée par des incursions d'air froid venant des pôles, résultat de la circulation atmosphérique globale qui n'a pas encore pleinement basculé vers le régime estival. Ces intrusions soudaines et inattendues d'air froid peuvent entraîner des gelées nocturnes, même à une période où les journées semblent de plus en plus clémentes. Cette interconnexion entre position astronomique, dynamique atmosphérique et impact sur le climat terrestre démontre la complexité des systèmes naturels qui, au fil du temps, ont été observés, interprétés et intégrés dans le folklore, offrant ainsi une base scientifique aux traditions entourant les Saints de Glace.
L'héritage des saints de glace dans le jardinage
Dans le monde du jardinage, les Saints de Glace sont bien plus qu'une curiosité historique. Ils représentent un jalon essentiel, un rappel que la nature suit son propre calendrier, parfois en dépit des prévisions météorologiques. Pour les jardiniers, cette période est un appel à la vigilance : protéger les plantes sensibles, retarder les semis en pleine terre des espèces les plus frileuses, ou encore couvrir les jeunes pousses en cas d'alerte au gel.
Les Saints de Glace nous enseignent ainsi une leçon d'humilité face aux éléments, nous rappelant que, malgré notre technologie et nos connaissances, nous restons à la merci des caprices du climat. C'est une période de respect et d'adaptation, où le jardinier doit écouter les signes de la nature et agir en conséquence, armé de patience et d'une certaine dose de prudence.
On a bien dit "saints de glace" !
Pour l'anecdote, lorsqu'on fait une recherche sur les mots-clés pour un sujet à rédiger, on obtient parfois des résultats surprenants. En effet, si les mots "saints de glace" sont majoritaires dans les résultats de recherches Google, certaines fautes de frappe ou erreurs étonnantes sont également comptabilisées. Ainsi, les recherches "seins de glace", "cinq de glace", "sang de glace" ou même "saint de grâce" sont bien placés eux aussi. Si "Les seins de glace" est bien un film italo-français de Georges Lautner (mais je doute que le nombre de recherches corresponde au film), le reste me laisse dubitatif (ceci dit, "Sang de glace" est aussi, un thriller écrit par Sharon Sala). Bref, faites attention à ce que vous saisissez dans la barre de recherche ! 😉
Les saints de glace dans la pop culture
Tant qu'on y est à parler cinéma et littérature, sachez que les saints de glace sont aussi régulièrement présents dans la culture populaire.
Proverbes et expressions :
- "Saints de Glace, ne t'y fie pas, sème tes haricots après Saint-Médard."
- "Avant Saint-Gervais et Saint-Protais, ne mets pas tes haricots en place."
Littérature :
- Le poème "Les Saints de Glace" de Sully Prudhomme (1865) évoque la beauté fragile des fleurs printanières qui sont menacées par le retour du froid. Le poète utilise l'image des Saints de Glace pour symboliser la fin de l'innocence et l'arrivée de la maturité.
- Le poète belge Émile Verhaeren évoque les Saints de Glace dans son poème "Les Flambeaux Noirs".
Musique :
- La chanson "Les Saints de Glace" de l'artiste belge Arno évoque la tradition avec humour et nostalgie.
- Le groupe de rock français Les Rita Mitsouko chante "C'est la saison des Saints de Glace" dans leur chanson "Y a d'la haine".
Folklore et traditions :
- Dans certaines régions, des processions et des bénédictions de champs ont lieu pendant la période des Saints de Glace.
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