Quand j’ai rencontré celui qui est aujourd'hui mon mari, j’avais 20 ans. Je vivais en ville dans un appartement d’étudiant. Le week-end, j’aménageais certes un peu le jardin de mes parents, mais je n’en parlais jamais. Cinéma, musique, littérature, escapades à l’étranger : l’homme ne s’est pas méfié.
Quand cinq ans plus tard nous avons commencé à rénover notre maison, il m’a bien vue planter des narcisses, des tulipes et des jonquilles dans notre jardin... alors aux trois-quarts occupé par une grue. Il a pensé que j’étais prévoyante, que j’essayais de gagner une saison de floraison sur les travaux. Là encore, mon agent de voyage de mari n’a rien vu venir.
L’année suivante, quelques jours à peine après notre aménagement, en rentrant du bureau, il a été saisi à la gorge par une odeur de bête crevée. L'homme a commencé à flairer l'arnaque.
Désormais maîtresse de ma propre maison, j’avais entrepris de laisser libre cours à ma passion en commençant par utiliser notre four tout neuf pour y stériliser de la terre de jardin. Est-ce alors mon grand sourire (ou l’odeur — atroce il est vrai — de la terre cuisant dans notre four ?) qui lui a fait prendre conscience qu’il venait d’épouser une jardinière ?
Pour notre premier Noël, il m’a demandé ce qui me ferait plaisir. J’ai répondu « Un sécateur !». Il a cru que je plaisantais. Quand au printemps suivant, il m’a vue jardiner, sans gants, avec la jolie bague qu’il m’avait offerte, alors il a compris qu’un diamant ne valait pas un bon outil.
Depuis, il a appris. Et au fil du temps, il s’est résigné à troquer l’étudiante branchée contre une quadra passionnée : une dingue de plantes…
Il faut reconnaître qu’en vingt ans, l'homme en a vu. Ou plutôt, il a accepté de fermer les yeux sur beaucoup de choses… comme :
- Trouver du terreau dans la baignoire parce que je venais d’y bassiner 50 pots de plantules de courges.
- Découvrir — régulièrement…— ses chemises maculées de taches brunâtres (indélébiles, faut-il le préciser) à cause de graines oubliées dans les poches de mon pantalon et qui étaient passées dans la lessiveuse ?
- Se faire arrêter par un vigile dans un grand magasin parce que je faisais mes courses avec un sécateur à grandes lames dans mon sac à main.
- Marcher dans de la terre dans la cuisine parce je triais et divisais mes dahlias dans la maison plutôt que dans la serre.
- Manger assis sur les marches d’un escalier, l’assiette sur les genoux, parce que j’étais en train de repiquer mes semis et qu’il y en avait sur toutes les tables.
Bien sûr, il soupire toujours de voir que je me moque du désordre chez nous alors qu’une pelouse mal tondue me rend hystérique. Qu’entre un rendez-vous chez le coiffeur et dix sacs de fumier séché, je ne choisisse pas le coiffeur. Que je préfère mon jardin à tout autre endroit du monde. Il ne comprend toujours pas non plus, alors que lui ne vit que pour voyager, que je ne veuille pas partir en vacances : en mars (premiers semis à préparer), en avril (dahlias à démarrer), en mai (tous les repiquages), en juin (premières vraies floraisons), en juillet (les dahlias commencent à s’épanouir), en août (préparation des portes ouvertes) en septembre (portes ouvertes !) en octobre (fête au jardin avec mes amies « potesfleurs ») et en novembre (arrachage et hivernage des dahlias). Et que le reste du temps, c’est l’hiver. Et qu’il fait moche en hiver. Et que moi, je suis comme mes plantes, je préfère le climat tiède et le soleil !
Pour le reste, il a pris le pli. De faire des kilomètres pour aller visiter un jardin. De stocker des graines dans le frigo et des caisses de dahlias dans nos toilettes. De trouver des sécateurs fourrés dans mon sac à main, dans les vide-poches de ma voiture, de sa voiture, sous les coussins du canapé. De trébucher partout dans la maison sur des catalogues de plantes. De prendre son bain au milieu de terrines de semis (une salle de bain chaude et humide est le milieu idéal pour débuter les germinations !). De réceptionner des colis de graines six fois par an.
Il ne me demande pas où je vais pouvoir caser mes nouvelles plantes, il ne me fait pas observer que j’ai déjà quasi la même sorte de dahlias dans ma collection. Il ne fait aucun commentaire sur le fait que je veuille retourner visiter le jardin des Moutiers pour la onzième fois, il accepte que je sois aux abonnées absentes les week-ends de Celles, de Beervelde, d’Aywiers, et il sourit même quand le soir, à table, je lui raconte ce qu’ont dit Marc, Luc, Thierry, Francis ou Didier. Parce que maintenant il sait qui c’est.
C’est qu’à force d’être abreuvé de « Jardins et Loisirs », de « Silence ça pousse » et surtout de « Gardener’s world », l'homme a fini par mettre un pied au jardin…
Bien sûr, pas tout à fait volontairement au départ — surtout qu’il s’agissait d’aller vider la brouette au compost, de tailler les haies, d’ameublir le terrain argileux pour y planter les dahlias, de ratisser les feuilles, d’enlever une souche et de tondre la pelouse,… -, mais de plus en plus spontanément, comme si il y prenait goût. Un peu, beaucoup, passionnément…
Alors quand, au printemps dernier, arpentant les allées du Chelsea Flower Show, je l’ai surpris, sourire aux lèvres, en train de photographier Monty Don... Que je le vois à présent, sur la table de la cuisine, plonger les deux mains dans un sac de terreau puis délicatement repiquer une à une de minuscules plantules… Qu’il revient à la maison et s’empresse d’aller arroser ses semis… Qu’il reconnaît à la première feuille, au premier bourgeon ou à la première pousse ce qui se trouve dans notre jardin...
Je me dis que finalement j’y suis arrivée : l’agent de voyage est devenu jardinier.
Catherine D, le 20 Février 2017
J'adore ! C'est beau l'amour...
Réponse de Sophie, le 7 Mars 2017
Merci Catherine !
sophie, le 20 Février 2017
Tu l'as converti: comme dit catherine, c'est beau l'amour!
Réponse de Sophie, le 7 Mars 2017
L'amour ou la manipulation ? :-).
Céline du jardin fleuri, le 20 Février 2017
Un mari en or qui a su voir évoluer sa femme et évoluer avec elle.
Réponse de Sophie, le 7 Mars 2017
En Or ... brun? Super engrais ça ! :-)
Armelle, le 20 Février 2017
J'ai adoré lire ton article. Les aventures de ton mari à tes côtés, m'ont bien fait sourire. Comme Catherine et Sophie l'ont dit, c'est beau l'amour.
Réponse de Sophie, le 7 Mars 2017
Merci !
Carole 68, le 20 Février 2017
Ah, pareil à peu près. Le seul but du jardin pour mon homme au début c'était "de sortir la chaise longue pour lire mon journal". Petit à petit, au fil des rencontres, il s'y connait un peu plus...
Trop de la chance, vous étiez à Chelsea et vous avez vu Monty ! Je suis une fan et je suis abonnée à Gardener's World. Je vais parcourir ton blog pour voir si tu as publié quelque chose là-dessus. Bises !
Réponse de Sophie, le 7 Mars 2017
Je publie peu sur le blog, mais toutes les photos sont sur Facebook en public :-)
Martine Dujardin d'Asana, le 20 Février 2017
Je ne désespère pas de convertir le mien ! Aujourd'hui ,je lui ai acheté de quoi faire ses premiers semis de tomates et il avait l'air heureux ...
Réponse de Sophie, le 7 Mars 2017
Il est fichu, contaminé !
Estelle, le 20 Février 2017
Tu m'as bien fait rire ! Et cela ressemble beaucoup à ce qu'il se passe chez moi ;-)
Réponse de Sophie, le 7 Mars 2017
Toi aussi tu cuis de la terre? ;-)
Jacquin sabine, le 20 Février 2017
Mon mari n est pas jardinier. Ouf quelqu un qui me ressemble. On dirait mon clone. Sophie tu es moi !!
Je travaille a temps plein a l exterieur, le reste du temps c est jardin. Je pense jardin, je reve jardin, je vis jardin. Mon mari, je le remercie de me laisser vivre mon jardin, ma brouette, mes bottes, mes gants et ma polaire rien de bien sexy. Lui c est le foot ...
Un vrai bonheur.
Réponse de Sophie, le 7 Mars 2017
Ah parfois je voudrais que mon homme soit au match...pour jardiner à l'aise ;-)
Clabots Maryse, le 20 Février 2017
Comme d'habitude j'ai adoré ton texte .
On peut dire que l'on a de la chance d'avoir nos hommes pour nous accompagner dans nos folies jardinières ...
Mais que ne ferait on pas par amour ,hein messieurs ?
D'ailleurs on se sent bien mieux les mains dans la terre que dans un salon de beauté ,nos mains ne comprendraient pas !
Gros bisous
Réponse de Sophie, le 7 Mars 2017
Merci Maryse ! Un salon de beauté? :-)
Claire, le 20 Février 2017
J'adore, c'est presque tout moi sauf que je ne jardine pas dans la maison et qu'il me manque l'homme...mais on va dire que ma fille joue un peu le même rôle...:-D
Réponse de Sophie, le 7 Mars 2017
Tant que tu peux avoir de l'aide !
Virginie, le 20 Février 2017
Ah ah encore une perle ... ^_^ bravo JC, t'es dans d'beaux draps, la jardinite aigüe est incurable !!! mdrrr bisous Sophie
PS : j'en reviens pas que tu aies fait cuire de la terre dans ton four, je suis pliée de rires ... (j'y ai déjà pensé mais pas osé mdrrr)
Réponse de Sophie, le 7 Mars 2017
Teste. Tu verras... ;-)
Agustin, le 20 Février 2017
Très bon Sophie, mais chez moi c'est: "Ma femme n'est pas jardinière", il faudrait que je fasse un billet aussi (MDR)
Réponse de Sophie, le 7 Mars 2017
Chiche !
Claudine v., le 21 Février 2017
Ahhh l'amour!! Ma moitié est bien contaminée aussi!! Jardin à 4 mains depuis quelques années ....Il a aussi fallu qu'il s'habitue à voir des semis et plantules dans tous les coins de la maison!!
Réponse de Sophie, le 7 Mars 2017
C'est si agréable de bosser ensemble!
LYSETTE CATHALA, le 21 Février 2017
Amusante chronique, et quelle passion dévorante pour ton jardin !
il n'est pas aisé d'être le mari d'une telle jardinière. et
bravo pour sa reconversion.
Réponse de Sophie, le 7 Mars 2017
Merci ! Mais il y a encore du travail!
Laurent, le 4 Mars 2017
Attention, à présent, il va falloir partager...
Réponse de Sophie, le 7 Mars 2017
;-)
Françoise, le 19 Mars 2017
Comme ça m'a fait rire cet article ! Mais moi j'ai envie de m'y mettre, mais je ne sais pas bien par quoi commencer (quand on n'y comprend rien), j'ai un petit jardin de montagne, 1100 m. en Lozère.
J'essaie de faire mon compost et j'arrive à faire des salades des potirons et des courgettes. J'ai déjà fait des semis, pas bien réussis, en 2016... Je vais suivre vos articles et j'apprendrai bien quelques petits trucs utiles. Merci, merci
Aline, le 25 Octobre 2018
Sublime! Je suis, enfin , il suit ce chemin aussi... :)
Malon Anne, le 3 Juin 2022
Merci Sophie A. Moi aussi mon mari n’est pas jardinier et je vous ressemble tellement ! Nous devons aller l’année prochaine au Chelsea Flower Show. Encore merci pour cet article tellement réaliste.