Les variétés anciennes et locales de cerisier : des fruitiers à planter et préserver

Histoire et origine des cerisiers

Les premières traces du cerisier

Le cerisier, avant d’être apprécié dans nos jardins et vergers, a une longue histoire qui remonte à des millénaires. Ses ancêtres sauvages, appartenant au genre Prunus, poussaient naturellement dans des zones tempérées d’Asie centrale et d’Europe. Les espèces de cerisiers sauvages se trouvaient notamment dans les montagnes du Caucase et dans certaines régions de la Turquie actuelle.
Ces cerisiers sauvages produisaient de petits fruits souvent acides et moins charnus que ceux que nous connaissons aujourd’hui, mais ils étaient déjà consommés par les populations locales pour leur richesse en vitamines et leur goût rafraîchissant.

La domestication du cerisier a débuté en Asie mineure, puis s’est progressivement étendue vers l’Europe grâce aux échanges commerciaux et culturels. Les Romains, grands amateurs de fruits, ont largement contribué à la propagation du cerisier en Europe lors de leurs conquêtes. L’arbre s’est rapidement répandu dans tout le bassin méditerranéen et dans les régions plus au nord, notamment la Gaule et la Germanie.

Le développement des variétés locales

Au fil des siècles, les cerisiers ont continué à se diversifier en fonction des conditions climatiques et des sols spécifiques de chaque région. Ce phénomène a donné naissance à des variétés locales, adaptées à des terroirs particuliers. Chaque région, grâce à son microclimat et à son sol, a influencé l’évolution naturelle des cerisiers, ainsi que la sélection opérée par les agriculteurs et les jardiniers locaux.

Le rôle des agriculteurs dans la diversification

La richesse des variétés locales de cerisiers ne s’explique pas seulement par la nature, mais aussi par l’intervention humaine. Pendant des siècles, les paysans ont joué un rôle crucial dans la sélection des cerisiers les plus productifs, les plus résistants et les plus savoureux. Ils prenaient soin de greffer et de cultiver les arbres qui produisaient les meilleurs fruits, créant ainsi une diversité génétique précieuse.
Ces choix de culture répondaient non seulement aux besoins alimentaires des familles, mais aussi à des considérations économiques et sociales, notamment la vente de cerises sur les marchés locaux ou l’utilisation des fruits pour la fabrication de confitures, de liqueurs et autres conserves.

Cette sélection empirique a conduit à la naissance de variétés spécifiques à chaque région, transmises de génération en génération. Certaines familles d’agriculteurs ont même donné leur nom à des variétés locales, aujourd’hui préservées dans des conservatoires ou encore présentes dans des vergers familiaux.

Le cerisier Noir de Meched venu d’Iran s’est adapté depuis longtemps dans le sud de la France

Les variétés anciennes de cerisiers : un patrimoine à redécouvrir

Une variété ancienne de cerisier se distingue des variétés modernes par son histoire, sa culture et ses caractéristiques. En général, on considère qu’une variété est « ancienne » lorsqu’elle est cultivée depuis plusieurs décennies, voire plusieurs siècles, avant l’essor de l’agriculture industrielle et des sélections modernes de masse.

Ces variétés anciennes n’ont pas été standardisées par des croisements intensifs pour la production commerciale, ce qui leur permet de conserver des qualités uniques : elles sont souvent mieux adaptées à des environnements locaux spécifiques et offrent des saveurs plus riches et plus complexes. Contrairement aux variétés modernes, sélectionnées principalement pour leur productivité et leur aptitude au transport, les anciennes variétés mettent en avant des caractéristiques comme le goût, la rusticité ou la résistance aux maladies.

Les cerisiers anciens sont ainsi le reflet d’une agriculture locale, adaptée à des pratiques de culture artisanales et à une consommation souvent plus proche du terroir. Ils représentent un véritable patrimoine végétal qu’il est essentiel de préserver pour maintenir la diversité génétique et les saveurs authentiques.

Exemples de variétés emblématiques

• Cœur de pigeon : cette variété, l’une des plus anciennes, est très appréciée pour ses grosses cerises à la chair tendre, sucrée et acidulée. Les fruits ont une peau brillante, d’un rouge vif à rose pâle. Cultivée en France depuis plusieurs siècles, elle est souvent associée à la Provence. Elle se distingue par sa robustesse et sa bonne adaptation à divers types de sol.
• Griotte de Montmorency : variété française originaire de Montmorency, près de Paris, cette cerise acide est particulièrement prisée pour la réalisation de confitures, sirops et pâtisseries. De petite taille et d’un rouge éclatant, la griotte de Montmorency est, en dépit de son acidité, très populaire en France et dans d’autres pays d’Europe pour les préparations culinaires et les conserves. Voir aussi pour la transformation la variété Guindoux des Charentes
• Bigarreau Napoléon: originaire d’Allemagne, cette variété ancienne est reconnaissable par ses fruits bicolores, jaune et rouge, à la chair ferme et croquante. Le bigarreau Napoléon est particulièrement apprécié pour sa résistance aux maladies et aux aléas climatiques. Cette cerise est polyvalente : elle peut être consommée fraîche ou utilisée dans des confitures et des desserts.
• Cerise Noire de Meched : importée de Perse (actuel Iran), cette variété ancienne a su s’implanter dans le sud de la France, où elle est cultivée pour ses fruits foncés, presque noirs, et son goût très sucré. Bien que moins connue que certaines autres variétés locales, elle est un exemple parfait de la diversité des cerisiers anciens qui, même venant d’ailleurs, se sont adaptés à nos terroirs.
• Bigarreau Blanc ou Trompe Geai : une variété originaire des Landes, à savoureux fruits jaune clair, peu attractifs pour les oiseaux.
• Griottier de la Toussaint : floraison remontante et production de fruits étalée de juillet à octobre, variété idéale pour la transformation.

Les cerises Bigarreau Blanc sont peu attractives pour les oiseaux

L'importance des variétés locales de cerisiers

Les variétés locales de cerisiers, parfois appelées variétés paysannes, sont d’une grande importance tant pour la biodiversité que pour l’agriculture durable. Leur préservation est essentielle pour plusieurs raisons clés :

• Les variétés locales ont évolué et se sont acclimatées aux conditions spécifiques de leurs régions au fil des siècles. Cela leur confère une résistance naturelle aux maladies et aux ravageurs locaux, ainsi qu’une meilleure adaptation aux variations climatiques propres à chaque terroir. Par exemple, un cerisier qui a prospéré en montagne saura résister aux gelées printanières, tandis qu’une variété du sud de la France sera plus résistante aux sécheresses estivales.
• Les variétés locales contribuent à une richesse génétique indispensable pour l’agriculture. Cette diversité est essentielle pour l’avenir, car elle permet de trouver des solutions face aux défis émergents tels que le changement climatique, les nouvelles maladies ou les parasites. En maintenant une variété génétique large, nous augmentons les chances d’avoir des cerisiers capables de s’adapter à des environnements changeants.
• Les variétés locales et anciennes offrent souvent des saveurs uniques, loin des fruits standardisés que l’on trouve dans les grandes surfaces. En cultivant ces cerises spécifiques à un terroir, on retrouve des goûts plus variés, plus intenses, parfois plus complexes, que les variétés modernes sélectionnées avant tout pour leur productivité ou leur aptitude au transport.
• Contrairement aux variétés modernes, généralement sélectionnées pour une production massive avec des besoins en traitements chimiques élevés, les variétés locales de cerisiers ont généralement besoin de moins d’interventions. Elles sont parfois plus rustiques, tolérant mieux des conditions plus naturelles, et peuvent donc être cultivées dans des systèmes agroécologiques ou dans des jardins en permaculture sans avoir recours à des pesticides ou engrais chimiques.

Les cerises Guindoux des Charentes, délicieuses cuisinées

Les défis de la préservation

Malgré leurs avantages, les variétés locales de cerisiers sont aujourd’hui menacées par plusieurs facteurs :

• Standardisation de l’agriculture : l’agriculture moderne privilégie les variétés à haut rendement, uniformes, et faciles à commercialiser. Les grandes exploitations agricoles et les distributeurs préfèrent les fruits qui résistent au transport sur de longues distances et qui peuvent être cultivés de manière intensive. Les cerisiers locaux, souvent moins productifs à grande échelle, ou dont les fruits sont plus fragiles, ont été délaissés.
• Perte de savoir-faire : la sélection et la multiplication des variétés locales étaient autrefois transmises de génération en génération. Aujourd’hui, beaucoup de ces connaissances sont en train de disparaître, ce qui rend la préservation des variétés locales plus difficile.
• Changement climatique : les changements dans les régimes climatiques locaux peuvent affecter la capacité des variétés traditionnelles à s’adapter. Certaines variétés anciennes pourraient être plus vulnérables aux sécheresses ou aux canicules prolongées. D’un autre côté, certaines variétés locales particulièrement robustes pourraient offrir des solutions face à ces défis environnementaux.

Les bénéfices pour les jardins et les vergers familiaux

Cultiver des variétés locales dans son jardin présente de nombreux avantages, que ce soit pour les jardiniers amateurs ou pour ceux qui souhaitent créer des vergers écologiques :

• Puisqu’elles sont adaptées à leur environnement depuis longtemps, les variétés locales nécessitent souvent moins de traitements contre les maladies ou les nuisibles. Cela permet de favoriser la santé des sols et de l’écosystème environnant.
• De nombreuses variétés locales ont évolué dans des conditions spécifiques, où l’eau et les nutriments étaient limités. Ainsi, elles demandent souvent moins d’irrigation et d’engrais que les variétés modernes plus exigeantes.
• Planter des variétés locales permet également d’apporter une diversité visuelle et gustative au jardin. Certains cerisiers anciens produisent des fruits ou des floraisons aux couleurs uniques, des cerises au goût spécifique.
• En plantant des variétés locales, on contribue à la préservation d’un patrimoine vivant. Chaque arbre devient un lien avec le passé, un héritage des générations précédentes et un symbole de la diversité culturelle et agricole de nos régions.

Les Cerises Griottier de la Toussaint se renouvellent de juillet à octobre sur l’arbre à floraison remontante

Initiatives locales pour sauvegarder les variétés de cerisiers

Associations et conservatoires : les gardiens du patrimoine fruitier

De nombreuses associations et conservatoires jouent un rôle important dans la préservation des variétés anciennes et locales de cerisiers. Leur mission est de sauvegarder ce patrimoine vivant, menacé par l’industrialisation agricole et la standardisation des variétés fruitières.

• Les associations locales et nationales : ces organisations regroupent des passionnés, des producteurs et des chercheurs qui œuvrent à protéger les variétés anciennes. Parmi elles, des structures comme les Croqueurs de Pommes (présents dans toute la France) se consacrent à la préservation des variétés fruitières anciennes, y compris les cerisiers. Ces associations recueillent des témoignages, réalisent des inventaires des variétés locales encore existantes, et organisent des événements pour sensibiliser le public à l’importance de ces arbres. Elles proposent souvent des formations sur la greffe, la taille et la culture des cerisiers pour encourager les particuliers à planter et à entretenir ces variétés.
• Les conservatoires botaniques : Ces lieux sont de véritables banques génétiques pour les variétés anciennes. Par exemple, le Verger Conservatoire de Cerises à Westhoffen en Alsace abrite des collections vivantes de centaines de variétés de cerisiers, parfois disparues du commerce traditionnel. Ces conservatoires travaillent à la fois sur la conservation des arbres eux-mêmes et sur la transmission des savoir-faire agricoles. Ils permettent aux jardiniers amateurs d’accéder à des greffons ou des plants de ces variétés rares, favorisant ainsi leur multiplication et leur diffusion dans les vergers familiaux.